Il y a 2 300 ans, la Gaule
La Maison pour tous de Rivery accueille jusqu’au 21 mai une exposition sur la ferme gauloise exhumée en 2016. Retour en 300 av. J.-C., en six questions.
11.05.2022
JDA 1013
1/ En -300, il y avait quoi ?
Rien ne suggère, à cette époque de La Tène (second âge du fer), les prémices de ce qui deviendra Samarobriva (aujourd’hui Amiens) après l’invasion par César en - 52. En lisière de l’ancien lit du fleuve, cette ferme de 41 000 m2 se trouvait entre le sanctuaire de Ribemont-sur-Ancre – lieu d’échanges, de prises de décisions et de rites religieux et guerriers – et l’un des rares passages à gué de la Somme.
2/ Un habitat durable ?
Les cultures ne ménageaient pas les sols. Les fermes, même avec fossé, enclos (haies) et entrées comme celle-ci, se déplaçaient régulièrement de quelques centaines de mètres. Faute d’une cartographie précise, leur densité est difficile à évaluer. « Cette ferme fut démontée proprement vers - 250, précise Yves Le Bechennec, qui a dirigé les fouilles pour le service d’archéologie préventive d’Amiens Métropole. Il leur fallait récupérer le bois d’œuvre. »
3/ Que mangeait-on ?
Les animaux rentraient dans l’habitat principal la nuit. Il y avait aussi des silos et des greniers. Les 19 674 ossements trouvés donnent une idée du menu local, où le porc dominait (pour la salaison ?), devant les bovins et les moutons. S’y ajoutaient jardins potagers et culture céréalière, même si peu de meules ont été retrouvées à Rivery. Le régime alimentaire était enrichi en sel.
4/ Qui résidait là ?
« Souvent, les fermes étaient remplies aux moissons puis les mercenaires partaient combattre, par exemple en Grèce. » Était-ce le cas ici ? Peut-on parler de famille ? Y avait-il des esclaves ? Mystères... D’autant qu’il s’agissait « d’une période relativement égalitaire, comme en Écosse ». Des corps portant des traces de coups et un crâne cloué à l’entrée de la ferme évoquent néanmoins le climat, « loin du cliché du gentil paysan auquel on veut parfois réduire les Gaulois ». Rappel : 200 corps sans tête ont été retrouvés à Ribemont, à 35 kilomètres.
5/ Quel système politique ?
On parle, pour La Tène ancienne, de chefferies, de « sociétés aristocratiques sans État, sans frontières marquées et basées sur les échanges et les alliances », répond l’archéologue. Mais qui dirigeait ici, à une époque où pratiques politiques et religieuses (polythéistes) s’entremêlaient ? L’absence de vestiges d’habitat “noble” autorise plusieurs interprétations, y compris une communauté indépendante et spécialisée dans l’artisanat.
6/ Un atelier de forge ?
La découverte d’armes de guerre et de barres à douille, la matière première du forgeron, le laisse envisager. « Toutes les fermes n’en n’avaient pas, souligne Yves Le Bechennec. C’est un peu particulier. » À l’époque, les spécialisations artisanales s’opéraient et les premiers essais de monnaie avaient fait long feu. Or, ces barres de fer se prêtaient à l’échange. Tout comme... le sel.
Jean-Christophe Fouquet
Rivery Gaulois
Jusqu’au 21 mai
Maison pour tous (63, rue Baudrez)
03 22 70 0738
Sous les bus, la ferme
Cette ferme gauloise fut auscultée lors de cinq semaines de fouilles en 2016 en amont de la construction du dépôt de bus d’Ametis, derrière l’hypermarché de Rivery. Après un diagnostic archéologique – systématique depuis 2001 en cas de destruction planifiée des sols – sur six hectares en 2015, la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) a prescrit des fouilles approfondies. Outre la ferme du troisième siècle av. J.-C., des vestiges d’une villa gallo-romaine du début de notre ère y ont aussi été retrouvés. L’exposition Rivery Gaulois, initiée par la commune et son maire Bernard Bocquillon, a été réalisée par le service d’archéologie préventive d’Amiens Métropole et 23 élèves du diplôme national des métiers d’art et du design du lycée Branly.
© Clémentine Trocellier et Charlotte Gracbling
Passé morcelé
L’archéologie amasse des données, les compare, en tire des conclusions. Mais rien n’est définitif, de nouvelles découvertes pouvant engendrer des révisions. Et, chantier par chantier, tout n’est pas forcément net et complet. L’essentiel des traces du bâtiment principal de la ferme gauloise de Rivery, enfoui hors périmètre de construction du dépôt de bus, se trouve toujours sous les surfaces agricoles. Et seuls deux hectares sur six ont été fouillés. Enfin, certaines informations ont pu disparaître lors de la construction de la Zac de la Haute-Borne. De nombreuses questions restent donc en suspens.
Une possible ferme à sel
Mangeant plus de céréales que de viande, nos ancêtres n’ingurgitaient pas les trois kilos de sel mensuels nécessaires à leurs besoins. D’où une production destinée à l’élevage, la salaison, mais aussi l’artisanat, depuis le néolithique. Dix fermes de ce type ont déjà été relevées sur le territoire picard. Le site de Rivery en est peut-être une (ou un site de stockage, type comptoir), au regard des 464 fragments d’augets à sel retrouvés. Mais pourquoi loin de la mer ? Explications de l’archéologue Yves Le Bechennec : « Pour produire du sel, il fallait du bois. Le littoral étant assez nu, il est probable que transporter de la saumure dans des outres en peau vers un lieu boisé était plus simple que de transporter du bois vers la mer ».
Sel : la recette des Gaulois
- Laisser l’eau de mer s’évaporer.
- Récupérer la saumure.
- La verser dans des augets en terre cuite.
- Mettre les augets sur le four.
- Attendre l’ébullition.
- Ajouter une pincée de sel déjà cristallisé.
- Laisser le sel cristalliser et déborder (photo).
- Briser les augets.
- Récupérer le pain de sel solide.
© Manon Pellegrinetti et Éléanore Dusseaux