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Le Film Le Procès Goldman présenté à Cannes ravive ce printemps 1976 où la France a les yeux rivés sur le tribunal d’Amiens. L’Amiénois Pascal Pouillot, se préparant au métier d’avocat, y était. Avec d’autres, il raconte.

Procès Pierre Goldman,  un procès hors norme à Amiens 1

17.05.2023

17.05.2023

Amiens est à Cannes. Et vient de s’inviter en ouverture de la Quinzaine des cinéastes où était présenté le film Le Procès Goldman de Cédric Kahn ce 17 mai. Un procès, celui de Pierre Goldman, demi-frère du chanteur Jean-Jacques Goldman alors encore inconnu, qui s’est tenu à la cour d’assises de la Somme du 26 avril au 4 mai 1976. « Un procès hors norme », qualifie l’historien Alain Trogneux, auteur d’Amiens, années 70 – La fin des Trente Glorieuses. Pierre Goldman, c’est un militant d’extrême gauche, guérillero, braqueur, intellectuel. En ce printemps 1976, s’ouvre son second procès après l’annulation d’un premier qui l’avait condamné à la perpétuité pour les meurtres six ans plus tôt de deux pharmaciennes à Paris, qu’il a toujours niés.

 

« Climat particulier »

Sur les marches du palais de justice d’Amiens, les célébrités, les intellectuels, les politiques défilent : Simone Signoret, Régis Debray, Alain Krivine… Les plus grands chroniqueurs judiciaires couvrent un événement aux retentissements incroyables dans la France d’alors et dans un Amiens incandescent, marqué en parallèle par une grève générale étudiante. « Un souvenir extraordinaire », pour l’avocat amiénois Pascal Pouillot. À l’époque, il a 24 ans, se prépare à être avocat et va suivre les sept jours d’audience. Quarante-sept ans plus tard, Pascal Pouillot n’a rien oublié de « ce climat particulier dans la ville où personne ne pouvait être étranger au procès », de « cet encadrement policier hors du commun », et de ce Pierre Goldman, cet « homme exceptionnel au sens littéral du terme ». Surtout, Pascal Pouillot se remémore, ému, de « la prestation inouïe » de Georges Kiejman, ténor du barreau décédé le 9 mai 2023.

 

Juif polonais né en France 

Pierre Goldman, fils de résistants, Juif polonais né en France comme il se définira en 1975 dans son très remarqué livre Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France, est un écorché vif. Un rebelle insaisissable, admirateur de De Gaulle qui se rêve en Che Guevara. Un ancien de l’Union des étudiants communistes qui conspue Mai 68. À cette époque, il multiplie les voyages en Amérique pour vivre la vraie révolution : après Cuba, le voilà au Venezuela à tutoyer la guérilla. De retour en France il est recherché pour ne pas avoir fait ses trois jours à l’armée. Pierre Goldman a une vie de bandit. Commet des vols à main armée. Il tentera même un braquage, raté, au domicile du psychanalyste Jacques Lacan. 

 

Deux morts boulevard Lenoir 

19 décembre 1969. Deux pharmaciennes sont tuées lors d’un braquage boulevard Richard-Lenoir à Paris. Un client et un policier en civil sont également blessés. Le 8 avril 1970, Pierre Goldman, dénoncé, est arrêté. Lui clame son innocence. Oui, il a bien braqué une pharmacie, dans le 13e arrondissement à cette période. Il reconnaît d’ailleurs deux autres braquages. Mais Richard-Lenoir, ce n’est pas lui, jure-t-il. En 1974, il prend perpétuité au terme d’un procès à la défense étrange : « Je suis innocent d’être innocent ».

 

Signoret, Giroud…

Un comité de soutien se forme. Une pétition est lancée : Pierre Mendès-France, Yves Montand, Simone Signoret, Françoise Sagan, Régis Debray, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir comptent parmi les signataires. Maxime Le Forestier lui consacre une chanson : La vie d’un homme https://www.youtube.com/watch?v=1MisxgM3XBU « Dans le contexte post-Mai 68, cette affaire devient un symbole pour de nombreuses personnalités qui considèrent que l’accusé, par sa personnalité d’activiste reconnu, est victime d’une erreur judiciaire », analyse Alain Trogneux. Même Françoise Giroud, secrétaire d’État, intervient en sa faveur auprès du président Giscard d’Estaing tout frais pensionnaire de l’Élysée.

Goldman se présente en détenu modèle. Passe des diplômes d’espagnol et de philosophie, et publie ce livre très bien écrit, Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France (dans lequel il dénonce les failles de son dossier),qui lui donne ses lettres d’intellectuel. « Il y a eu une identification, avec cette génération qui a quelque part cherché son affaire Dreyfus », analyse l’écrivain et journaliste Michaël Prazan, auteur du livre Pierre Goldman, le frère de l’ombre. 

 

Kiejman à la barre, Jean-Jacques dans la salle 

Pendant cette première Goldmanmania, la cour de cassation casse le verdict de la cour d’assises de Paris. Motif inédit : le procès-verbal des débats n’avait pas été daté. Un nouveau procès doit se tenir. Ce sera à Amiens. « Le procès de Paris est, non pas cassé, mais annulé, précise Alain Trogneux. Dans ce cas de figure, excessivement rare, la législation veut que le mis en cause soit jugé par une autre cour et, comme les textes le précisent, c’est celle d’Amiens qui doit remplacer Paris. »

« On a eu la grande chance d’avoir ce procès ici, un procès extraordinaire dans l’histoire de la justice qui a fait la publicité d’Amiens sur le plan judiciaire », insiste Pascal Pouillot. Le procès démarre le 26 avril au moment où l’université amiénoise est en ébullition contre la réforme du deuxième cycle appelée Soisson Saunier-Seïté depuis février. Alors que la fac est coupée en deux, entre ceux qui ont arrêté le mouvement et ceux qui le durcissent, les soutiens à Goldman affluent. Les contrôles d’accès au tribunal s’avèrent drastiques. 

 

« Il y a rarement eu une telle concentration d’intelligence au mètre carré »

Pascal Pouillot

 

Maître Kiejman démontre la fragilité des témoignages. « Il a su appréhender le vrai Goldman », admire l’avocat amiénois, encore ébahi par « la personnalité prodigieuse » et « l’art oratoire » de son confrère. Côté partie civile, Henri-René Garaud officie. On le retrouvera par la suite avocat des parents du petit Grégory. « En ajoutant les personnalités présentes dans la salle, il y a rarement eu une telle concentration d’intelligence au mètre carré », formule Pascal Pouillot. 

Après sept jours de débats, Pierre Goldman se voit condamné à douze ans pour les trois braquages qu’il n’avait jamais nié avoir commis (entre les remises de peine et la bonne conduite, il lui restera six mois derrière les barreaux). L’énoncé du verdict est accueilli avec des applaudissements. Dont ceux de Jean-Jacques Goldman, encore anonyme, présent dans la salle d’audience.

Procès Pierre Goldman,  un procès hors norme à Amiens 2

 © archives_municipales_amiens_cp_19760505 

 

Assassiné 

Quelques mois plus tard, Pascal Pouillot, qui hésite alors avec une carrière journalistique, est en stage à Libération. Il y croise Pierre Goldman qui pige pour le quotidien. « C’était un gars toujours tendu, autour duquel régnait un climat inquiétant. Il craignait toujours pour sa vie, confie Pouillot. Il avait raison. » Le 20 septembre 1979, se rendant chez son ami Pierre Bénichou, Pierre Goldman est en effet abattu en pleine rue à Paris, sept balles tirées dans le dos. Un groupe inconnu baptisé Honneur de la police revendique l’assassinat avant même que l’AFP n’annonce la nouvelle. Les auteurs ne seront jamais identifiés. Maître Kiejman déclarera : « Je suis persuadé que la police n’est pas liée à son assassinat, qu’il s’agit d’un groupe fasciste qui s’en est pris à quelqu’un qui était l’adversaire des fascistes ».  Sa veuve, Christiane Succab, accouche la veille des obsèques qui noirciront les rues de Paris avec 15 000 personnes https://www.youtube.com/watch?v=rGSFBIpPdHI . « Journaliste et cinéaste, Christiane Succab est venue plusieurs fois au Festival du film d’Amiens », raconte Jean-Pierre Garcia, l’ancien directeur du Fifam. La chanson Puisque tu pars de Jean-Jacques Goldman serait un hommage à ce frère au destin sulfureux. 

 

Antoine Caux

 

« C’était un gars toujours tendu, autour duquel régnait un climat inquiétant. Il craignait toujours pour sa vieIl avait raison »

Pascal Pouillot qui croisa Pierre Goldman dans les locaux de Libération