Rideau sur les violences urbaines
Six des sept commerces amiénois victimes des émeutes de la fin juin ont pu rouvrir, percevant notamment des aides d’Amiens Métropole. Pour eux, la page est tournée, les sourires revenus.
15.11.2023
JDA 1062
À la caisse du magasin Spar de la rue de Cagny, deux clients papotent avec Nathalie, mines réjouies. Depuis trois semaines, cette belle supérette, installée ici depuis plus de trente ans, a rouvert sept jours sur sept, au plus grand soulagement des habitants. « Le matin où on a relevé le rideau, ça a fait du bien au moral », raconte Nathalie, salariée du magasin. De la lumière après des heures terribles. Et un chômage forcé pendant trois mois. Car dans la nuit du 29 au 30 juin, ce commerce a été la proie des violences urbaines, déclenchées partout en France après la mort du jeune Nahel Merzouk à Nanterre lors d’un contrôle de police.
« Il faut aller de l’avant »
Mickaël Clabaut, le responsable du magasin, se souvient : « J’habite à côté. J’entendais les sirènes et je me disais : “Pourvu qu’on n’attaque pas le magasin”. La veille, déjà, nos poubelles avaient brûlé devant ». Mais la nuit suivante, les commerces de cette partie de la rue de Cagny sont à nouveau pris pour cible. Le rideau du Spar, fragilisé, cède sous un nouvel assaut. La porte est cassée, les vitres des réfrigérateurs brisées, les rayons saccagés. Les salariés, eux, consternés au petit matin, rejoints par l’adjoint au maire délégué au secteur Est, Matthieu Beauvarlet, entre coups de fil à la police, aux assurances et des services de la ville à pied d’œuvre. « Des vidéos Snapchat ont été faites pendant le saccage. On sait que dans l’école à côté, de l’essence a été versée sur les doudous des enfants, ne comprend toujours pas Mickaël. Sur le coup, on est tellement énervé. Et puis on se dit qu’il faut aller de l’avant. »
« Les premières victimes, ce sont les habitants »
Place des Provinces-Françaises, dans le quartier Étouvie, les faits sont presque similaires, les sentiments identiques. L’abattement a été remplacé par les sourires. « Il y a encore des gens qui ne savent pas que l’on a rouvert, a observé Sandrine Gouchet, la gérante du tabac. Mais quand le monde est là dans la boutique, ça fait du bien. Nos petites mamies peuvent venir faire leurs photocopies sans traverser la ville, les gens peuvent récupérer leurs colis. Ce sont surtout les habitants qui ont été pénalisés. » Dans cette nuit de fin juin, Sandrine et son mari, qui ont repris le tabac depuis dix-huit mois, sont alertés par une employée, riveraine, de l’intrusion dans le magasin. « On y est allé. Il y avait encore des intrus dans la boutique ! Heureusement, des clients nous ont aidés et sont restés avec nous toute la nuit pour occuper les lieux. » Les patrons pensent rester fermés une semaine ou deux. « On l’a été trois mois et cinq jours, a calculé précisément Sandrine. C’est tombé pendant l’été, il fallait refaire les vitres, les délais étaient plus longs. » Mais elle relativise. Sur les 550 tabacs victimes des émeutes en France, 50 n’ont pas rouvert, à l’instar de leurs collègues du Colvert, à Amiens.
Antoine Caux
« Cette aide de 5 000 € était inattendue, c’est super ! » Sandrine Gouchet, patronne du tabac Les Provinces qui vient de rouvrir
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150 000 € DE SOUTIEN À SYNAPSE 3I
L’association d’accompagnement vers l’emploi qui compte une centaine de salariés en insertion et une trentaine de permanents a vu ses locaux brûler dans l’ancienne école de Victorine-Autier le 29 juin. Elle a pu poursuivre son activité en intégrant de nouveaux locaux, au nord d’Amiens, dans l’ancien site Lee Cooper. Amiens Métropole lui alloue une aide exceptionnelle de 100 000 € à laquelle s’ajoute l’abandon d’une dette de 50 000 € de Synapse 3i envers l’agglomération. « Nous sommes à ses côtés », a déclaré Alain Gest. Brigitte Fouré : « Ce qui nous importe c’est que cette association continue à œuvrer pour les Amiénois qui en ont besoin et qui sont encore nombreux. »
LE VIVRE ENSEMBLE TOUJOURS EN POING DE MIRE
La salle de boxe a disparu du paysage d’Étouvie. Incendiée fin juin, elle a ensuite été rasée en août. Les 622 licenciés d’Amiens Boxe Française ont trouvé refuge dans le gymnase Émile-Moiroud juste à côté. Cet après-midi-là, ce repli paraît trop petit pour accueillir les gamins, invités à pratiquer. Parmi eux : presque une majorité de filles. « La boxe à Étouvie, c’est pas fini ! scande Mohammed Oudji, 58 ans (et presque autant dans le quartier), lui qui croit aux lendemains qui chantent et fut invité à l’Élysée par la ministre des Sports. La France a parfois besoin d’une dramaturgie pour que les consciences se réveillent ! » Maëlle Traoré, néolycéenne à La Hotoie et grand espoir du club, confie : « Parfois ma salle me manque ». Mais est bien passée à autre chose : une qualification en finale du championnat de France.