Le poteau des fusillés

Situé dans les fossés de la Citadelle, à l'extrémité du « passage des Martyrs », se trouve le poteau des fusillés.
Le stand de tir créé dans les années 1930 fut le lieu d’exécution d’au moins 35 résistants condamnés à mort entre novembre 1940 et août 1944.
Les corps des suppliciés étaient pour la plupart remontés et enterrés dans la Citadelle.
À la Libération, un charnier y fut découvert, vingt-quatre dépouilles furent identifiées.
Ce site chargé d’émotion est, dès 1944, un lieu de commémoration que vont s’approprier ensuite les associations des anciens résistants et déportés.

Mais le lieu, à l’écart du centre-ville, laissé sans surveillance, a connu des dégradations.
Des deux poteaux d’exécution, il ne reste qu’un morceau aujourd’hui protégé et installé uniquement lors des cérémonies.
Le site du poteau des fusillés se compose des vestiges du stand de tir, d’un jardin du souvenir réhabilité et, à l’emplacement d’un des deux poteaux, d’une urne contenant de la terre des camps d’extermination nazis (photo ci-contre).
Il n’est ouvert que pour les commémorations officielles et à la demande auprès de l’association « Centre de Mémoire et d’Histoire-Somme-Résistance et Déportation », qui y accueille notamment les scolaires toute l’année et le public lors des Journées du Patrimoine.
Un lieu d’exécution

Extrait de la brochure le Maréchal.
Les premières condamnations à mort ont pour but de dissuader les Français de toute action hostile envers l’occupant.
Exécutés le 12 novembre 1940 :
- Lucien Brusque, 21 ans, marin-pêcheur, né et vivant à Saint-Valéry-sur-Somme.
- Émile Masson, 18 ans, marin-pêcheur, né et vivant à Saint-Valéry-sur-Somme.
Tous deux ont été arrêtés pour sabotage de lignes téléphoniques.
Exécuté le 10 janvier 1941 :
- Robert Deregnaucourt, 24 ans, chauffeur, né à Lille (Nord), vivant à Paris, condamné pour acte de violence contre un militaire allemand.
Si l’exécution de Lucien Brusque et Émile Masson, accusés de sabotage de lignes téléphoniques, le 12 novembre 1940, nous est connue, c’est grâce au photographe amiénois Pierre Caron. Chargé de développer des photographies prises par un soldat allemand, il en fit des doubles et les transmit à la Résistance, qui les diffusa et en fit un document de contre-propagande.
Un cliché fut également pris par les Allemands lors de l’exécution de Robert Deregnaucourt.
A partir de l'été 1941, en réponse aux actions de sabotage et aux assassinats de soldats allemands, l’occupant applique des représailles contre les communistes emprisonnés et les juifs. Ainsi, à Amiens, le 30 avril 1942, cinq hommes sont fusillés comme otages, parce que communistes pour répondre à l’attaque d'un train transportant des soldats allemands vers Caen.
Exécuté le 19 janvier 1942 :
- Maurice Carrouaille, 28 ans, bûcheron, né et vivant à Montagne-Fayel (Somme) condamné pour détention illégale d’armes.
Exécuté le 7 février 1942 :
- Gaston Blot, 33 ans, manœuvre aux Mines de Bruay, militant communiste et membre des Francs-tireurs et partisans (F.T.P.), né et vivant à Bruay-en-Artois (Pas-de-Calais)
Exécuté le 21 février 1942 :
- Emile Lesage, 27 ans, tailleur de pierre ou mineur, membre de l'organisation spéciale de combat (OSC) communiste, né à Ourton (Pas-de-Calais), vivant à Haillicourt (Pas-de-Calais), fusillé comme otage.
Exécutés le 1er avril 1942 :
- Lucien Delecoeullerie, 33 ans, chauffeur-routier, militant communiste, né à Saint-Jost-sur-Mer (Pas-de Calais), vivant à Amiens, arrêté pour propagande communiste, intelligence avec l’ennemi et non-remise de tracts germanophobes.
- Hubert Leclercq, 30 ans, manœuvre, membre des Francs-tireurs et partisans (F.T.P.), né et vivant à Amiens, arrêté pour activité communiste.
- Victor Magnier, 40 ans, artisan cimentier, membre des Francs-tireurs et partisans (F.T.P.), né à Sains-du-Nord (Nord), vivant à Amiens, arrêté pour propagande communiste.
Exécutés le 30 avril 1942 :
- Octave Gauthier, 61 ans, vigneron-tonnelier, militant communiste, né à Thenay (Loir et Cher), fusillé comme otage.
- Marcel Duchemin, 49 ans, infirmier psychiatrique, militant communiste, né à Agnetz (Oise), vivant à Giencourt (Oise), fusillé comme otage.
- Henri Chaintreau, 45 ans, cheminot, syndicaliste, militant communiste, né à Bellegarde (Loiret), vivant à Villemandeur (Loiret), fusillé comme otage.
- Henri Laroche, 36 ans, manœuvre, militant communiste, né à Vaumoise (Oise), vivant à Crépy-en-Valois (Oise), fusillé comme otage.
- Albert Bessières, 34 ans, professeur-adjoint, militant communiste, né à Figeac (Lot), vivant à Dreux (Eure-et-Loir), fusillé comme otage.

Exécuté le 16 mai 1942 :
- Léopold Lesage, 49 ans, mineur, membre de l'organisation spéciale de combat (OSC) communiste, né à Labussière (Pas-de-Calais), vivant à Haillicourt (Pas de Calais) arrêté pour violences envers un membre de l’armée allemande, tentative de meurtre et intelligence avec l’ennemi (photo ci-contre).

Exécutés le 2 août 1943 :
Les onze Francs-tireurs et partisans du groupe "Michel", accusés de terrorisme, le plus jeune, Charles Arthur Lemaire, avait 17 ans.
- Alfred Dizy (photo ci-contre), 36 ans, ouvrier agricole, né à Vrély (Somme), vivant à Morlancourt (Somme).
- Jacques Wilgos, 18 ans, apprenti-tourneur, né à Vaire-sous-Corbie (Somme), vivant à Albert (Somme).

- Henri Wilgos, 20 ans, apprenti ajusteur, né à Vaire-sous-Corbie (Somme), vivant à Albert (Somme). (photo ci-contre)
- Jules Mopin, 22 ans, ouvrier verrier, né à Mers-les-Bains (Somme).

- Georges Debailly, 19 ans, mécanicien tourneur, né à Mont-Saint-Aignan (Seine-Inférieure), vivant à Longueau (Somme). (photo ci-contre)
- Maurice Seigneurgens, 24 ans, mécanicien ajusteur, né à Caix (Somme), vivant à Villers-Bretonneux (Somme).
- Ernest Lesec 25 ans, officier de la marine marchande, né à Beaufort-en-Vallée (Maine-et-Loire), vivant à Mers-les-Bains (Somme).

- Maurice Robbe, 21 ans, électricien, né à Friville-Escarbotin (Somme), vivant à Rosières-en-Santerre (Somme). (photo ci-contre)
- Louis Martin, 25 ans, instituteur, né à Brest (Finistère), vivant à Eu (Seine Inférieure).
- Paul Moreau, 23 ans, instituteur, né à Wazierz (Nord), vivant à Eu (Seine Inférieure).
- Charles Arthur Lemaire, 17 ans monteur de cycles, né et vivant à Amiens.
Exécuté le 5 février 1944 :
- André DUMONT, 24 ans électricien, membre des Francs-tireurs et partisans (F.T.P.), né à Mers-les-Bains (Somme).
Exécutés le 6 juillet 1944 :
- Gaston Moutardier, 55 ans, directeur départemental des PTT, membre des mouvements PTT Nord-Picardie et Libération-Nord, né à Comines (Nord), vivant à Amiens.
- Cyrille Werbrouck, 49 ans, conducteur de travaux aux PTT, membre des mouvements PTT Nord-Picardie et Libération-Nord, né à Lille (Nord), vivant à Amiens.
Arrêtés pour espionnage et aide à l’ennemi.
Cette liste arrêtée à la suite des recherches menées en 2002 par Jacques Lejosne, Françoise Fusilier, Jackie Fusilier et Claude Leleu est à recouper avec le « Relevé des personnes fusillées à la citadelle d’Amiens durant l’occupation » mis en avant par Solène Vankerkhoven dans son travail de Master réalisé en 2023.
Un lieu de mémoire
Le 1er novembre 1944 dans toute la France libérée se tient une commémoration en hommage aux Résistants fusillés.
A Amiens au stand de tir, devant une foule nombreuse une plaque est apposée, dédiée "Aux fusillés de la citadelle" avec pour inscription "Ici tombèrent sous les balles allemandes les patriotes français qui combattaient sous l'occupation pour la libération de la Patrie".
Le boulevard de la citadelle est nommé "boulevard des fusillés" et le chemin de Ménilmontant qui mène au stand de tir devient le « passage des martyrs ».
Dès août 1945, la mémoire des 11 FTP fusillés le 2 août 1943 est célébrée, une manière de souligner l’engagement du Parti communiste qui se présente à la sortie de la guerre comme le « parti des 75 000 ».

Extrait du Courrier Picard du 2 novembre 1944 fusillés.

Le site connaît un premier aménagement où viennent se recueillir le Général Leclerc lors de sa visite officielle le 31 août 1946 tout comme le Président Vincent Auriol le jour de la Fête de la Victoire de 1945, le 8 mai 1948.
Mais ce lieu ouvert connaît à plusieurs reprises des dégradations : bâtiment du stand de tir vandalisé, urne contenant des cendres brisée, poteaux d’exécution brûlés. Le président de l’association des Déportés et Internés Résistants et Patriotes, M. Cozette, recueille à la fin des années 1980 le fragment d’un des deux poteaux et fait réaliser une inclusion pour le sauvegarder.
Dorénavant, en accord avec la Mairie, aucun objet ne reste en permanence.
L’urne, le morceau préservé de poteau et la plaque commémorative ne sont placés qu’au moment des cérémonies officielles.
La municipalité prend en charge l’édification d’un mur en parpaings et la pose d’une porte blindée. Le site du poteau des fusillés devient un lieu fermé.
Aujourd’hui le site est entretenu par les personnes travaillant au chantier d’insertion d’Amiens Nord. Le lieu est ouvert au moment des journées nationales de commémorations : celle consacrée au souvenir des victimes de la déportation, le dernier dimanche d'avril et celle dédiée à la Résistance le 27 mai.
La libération de la Ville d’Amiens le 31 août y est également célébrée.
A ces cérémonies officielles s’ajoutent des hommages spécifiques. Ainsi la municipalité de Mers-les Bains a par trois fois honoré la mémoire des trois Mersois fusillés et a fait poser une plaque en souvenir de leur sacrifice.
De même, la mémoire du gendarme Maurice Garin est régulièrement honorée.
Cette liste reste incomplète, un corps retrouvé en mai 1946 n’a pas été identifié.