Place Léon Debouverie - Un maire dévoué et patriote
Léon Debouverie, un maire intransigeant
Originaire du Nord et ancien combattant de la Première Guerre mondiale, Léon Debouverie s’installe à Amiens en 1927.
Resté dans la ville bombardée en mai 1940, il organise, avec d'autres volontaires, le ravitaillement des habitants et l’inhumation des morts.
Les autorités d’occupation allemandes le nomment Maire d’Amiens le 17 juin 1940, une fonction confirmée ensuite par le régime de Vichy.
Il n’aura de cesse de tenter de relever une ville en partie détruite.
Son refus des réquisitions exigées par les Allemands lui vaut d’être arrêté en août 1941 et condamné à 11 mois de prison en Allemagne, avant d’être interdit de séjour à Amiens.
Il rentre de captivité en août 1942.
Après la Libération, il est élu député à l'Assemblée constituante (octobre 1945 - juin 1946). Devenu conseiller municipal, il meurt d’une crise cardiaque le 10 mars 1950, en pleine séance du conseil.

Léon Debouverie, confirmé comme maire en mars 1941, au pied de l’Hôtel de Ville, entouré de l’équipe composée par le Préfet de la Somme.
Une fonction née des circonstances
Extrait du Journal Officiel - 22/11/1940
Le 20 mai 1940, lorsque les forces allemandes occupent Amiens, la ville est en grande partie détruite. Aucun membre du conseil municipal n'est présent, la mairie s’étant réfugiée à Brécey, dans la Manche.
Désireux d’avoir un interlocuteur pour rétablir les services publics, les Allemands désignent Léon Debouverie comme « Maire d’Amiens » le 17 juin 1940, une décision ensuite confirmée par Vichy.
En novembre 1940, une délégation spéciale de six membres, présidée par Debouverie, est mise en place.
Il applique alors les décisions du préfet, mais le conseil municipal ne vote plus.
Dans l’esprit des responsables du régime de Vichy, il ne s’agit que d’une étape vers la mise en place d’un nouveau conseil municipal, non plus élu, mais nommé par le ministre de l’Intérieur.
Les conseillers municipaux sont choisis à partir d’une liste établie par le préfet, après avis du maire nommé.
Cette liste comprend un nombre de candidats deux fois supérieur au nombre de sièges à pourvoir et inclut au moins une femme qualifiée pour s’occuper des œuvres privées d’assistance et de bienfaisance nationales.
Cette réforme est mise en place en mars 1941.

Extrait du Journal Officiel 22/11/1940.
Relever Amiens de ses ruines
Tout est à reconstruire dans une ville dont le centre a été ravagé. Dans un premier temps, les Allemands font déblayer les rues par des prisonniers français. Puis, sous l’autorité du Préfet et avec une aide financière tardive de l’État français, la ville prend le relais. Il faut un an pour retirer les gravats et installer des commerces provisoires dans des baraquements sur les boulevards.
Les premiers mois sont cruciaux. Le conseil municipal doit résoudre les problèmes matériels de la population qui revient progressivement : nourrir les sinistrés grâce à des soupes populaires, les reloger, rééquiper les services municipaux, et rétablir les transports en achetant de vieux bus parisiens (que les Allemands finissent par réquisitionner). Une aide financière est également apportée aux personnes sans ressources.
À la fin de septembre 1940, Léon Debouverie annonce que l’eau, le gaz et l’électricité sont rétablis et que le ravitaillement est assuré. La rentrée scolaire peut avoir lieu : l’école de médecine est rétablie et une école de droit est créée. Avec l’État, il envisage déjà la reconstruction d’Amiens, qui se concrétisera après la Libération.

Le Beffroi d'Amiens et ses environs après les bombardements de mai 1940.
Cependant, la municipalité doit aussi faire face aux exigences des troupes d'occupation. Les officiers investissent les bâtiments administratifs, les hôtels du centre-ville restés intacts et les grandes maisons des quartiers sud. Les hommes de troupe occupent les casernes et les écoles. Les dépenses liées à leur hébergement sont à la charge de la ville.
L’Hôtel de Berny est transformé en cercle des officiers, et plusieurs foyers du soldat allemand sont créés. La brasserie « Le Royal » est réquisitionnée pour les officiers et sous-officiers. Les Allemands s’emparent de véhicules, de bicyclettes et des huit terrains de sport disponibles.
Ne pouvant s'opposer frontalement aux Allemands, Léon Debouverie cherche des moyens de négocier, réduisant les réquisitions ou retardant les livraisons. Ces démarches provoquent des tensions entre la municipalité et les autorités allemandes, sous la pression croissante des habitants d’Amiens.
Un homme de conviction
Né en 1889, Léon Debouverie, issu d’une famille ouvrière du Nord, gravit les échelons sociaux grâce à ses aptitudes scolaires. Après son certificat d’études primaires, il obtient un diplôme de comptabilité et commerce en suivant des cours du soir, et travaille comme comptable dans une filature à Lannoy.
Il démontre des qualités de meneur d’hommes lors de la Première Guerre mondiale. Lieutenant sur les fronts de Verdun et de Roumanie, il est décoré de la Croix de guerre 1914-1918, de l’Ordre de la Couronne de Roumanie et fait chevalier de la Légion d’honneur, reconnu comme un officier énergique et brave, au sang-froid admirable. Dans sa correspondance avec l’occupant, il rappelle souvent cette dernière distinction.
Après-guerre, il devient directeur commercial de la Grande Brasserie coopérative de Lille.
Veuf et père de six enfants, il crée à Amiens une entreprise d’importation et de transport d’hydrocarbures.
En mai 1940, après avoir évacué ses enfants et ses employés, il choisit de rester et d’affronter la situation, organisant le ravitaillement des habitants et l’inhumation des morts.

Extrait du Progrès de la Somme du 11 septembre 1941, journal paraissant sous le contrôle des Allemands.
Nommé Maire par les Allemands, il leur rappelle constamment qu’ils outrepassent leurs droits.
En août 1941, son refus de réquisitionner les camions de son entreprise lui vaut une condamnation à un mois, puis à deux mois de prison.
Lors d’une perquisition, des tracts anti-allemands sont découverts à son domicile, et il est condamné à neuf mois de prison supplémentaires. Déporté à Sarrebruck, il est assigné à résidence à Soissons après sa libération en juillet 1942.
Léon Debouverie ne cache jamais son engagement religieux ni sa méfiance envers les communistes.
En 1945, il adhère au Mouvement républicain populaire (MRP) et, bien qu’il échoue aux élections cantonales, il est élu député à l’Assemblée constituante le 21 octobre 1945.
Devenu simple conseiller municipal sur la liste du MRP, il meurt brutalement le 10 mars 1950, en pleine séance du conseil municipal.

Extrait du Courrier Picard du 11-12 mars 1950.