Rue Saint-Leu – Mai 1940 : Amiens sous les bombes
Septembre 1939 : la France entre en guerre
Septembre 1939, la France entre en guerre contre l’Allemagne d’Hitler. Le 10 mai 1940, après 8 mois de face-à-face, les blindés allemands foncent vers les Pays-Bas, la Belgique et la France.
Amiens représente un objectif majeur : située sur la Somme dernier obstacle naturel avant la Seine et Paris, la ville est aussi un nœud ferroviaire et routier de première importance.
Amiens est également le siège de la 2e région militaire comprenant la Somme, l’Oise, l’Aisne et les Ardennes.
A partir du 16 mai, à la vue des réfugiés de Belgique et du nord de la France qui traversent la ville, les Amiénois prennent le chemin de l’exode. A leur retour, le centre-ville n’est plus qu’un champ de ruines.

La cathédrale d’Amiens, aquarelle et encre de Chine de Serge Ivanoff.
(Série Cathédrales Vivantes parues dans L’illustration de Noël 1940).
L’Hôtel-Dieu, témoin de 1940
De l’Hôtel-Dieu, il ne reste plus aujourd’hui que les vestiges de la salle Saint-Jean.
Initialement situé près de la cathédrale, cet édifice accueillant les malades fut bâti une première fois entre 1236 et 1238, puis une seconde fois en 1531.
Il est pendant sept siècles le principal hôpital d’Amiens jusqu’à la construction d’un nouveau bâtiment sur le plateau de la citadelle à la fin des années 1920.
Fortement endommagé par les bombardements de 1940, il sert d’abri à de nombreuses familles à la sortie de la guerre.
Hormis la salle Saint-Jean, l’hôtel-Dieu est rasé en 1964 pour laisser place à la faculté des sciences et au Centre Régional de Documentation Pédagogique.

L’Hôtel-Dieu au début du XXème siècle.
Le "coup de faucille" (10-28 mai 1940)
Le 10 mai 1940, les 29 divisions allemandes dont 3 de panzers, constituant le groupe d’armées B aux ordres de Von Bock pénètrent aux Pays-Bas. En réponse le Général Gamelin commandant en chef des armées françaises lance dans l’espace hollandais la 7e armée aux ordres de Giraud, constituée des meilleures troupes françaises, appuyées par le Corps expéditionnaire anglais. Ordre est d’arrêter l’armée B.
Mais, plus au sud-est, à Sedan les troupes françaises les plus faibles font face au groupe d’armées A composées de 44 divisions dont 7 de Panzers, aux ordres de Von Rundstedt qui réussissent à franchir la Meuse le 13 mai. Pourtant les troupes franco-britanniques, poursuivent leur marche vers les Pays-Bas pour stopper l’Armée B de Von Bock.
Les unités du Général Guderian du groupe d’armées A pivotent le 15 mai sur leur droite et foncent vers la Manche, entamant ce que l’on appelé « le coup de faucille ». Le 16, elles atteignent Montcornet, Péronne le 19, Amiens et Abbeville le 20, Boulogne-sur-Mer le 22.
En 10 jours les armées alliées ont été coupées en deux et Gamelin n'a plus que des troupes peu aguerries, mal équipées et au moral affaibli à lancer contre le flanc gauche allemand, C'était la hantise de l’état-major-allemand qui pensait à la bataille de la Marne de 1914.
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La ville sous les bombes
Le samedi 18 mai 1940, Amiens subit un premier bombardement : une douzaine d'avions allemands visent la gare de triage de Longueau et l’aérodrome de Glisy, à l'est de la ville, et la gare Saint-Roch, à l'ouest du centre-ville. La gare Saint-Roch fut détruite en grande partie faisant une vingtaine de tués et un plus grand nombre de blessés parmi la population et les militaires britanniques dont le train stationnait en gare.
Le lendemain, vers midi, Amiens subit une nouvelle attaque aérienne : trois escadrilles de bombardiers lâchent leurs bombes sur le centre-ville la gare du Nord, le faubourg Saint-Pierre à proximité de la citadelle, l'église Saint-Honoré et les immeubles avoisinant mais aussi une partie du faubourg de Hem et le quartier Saint-Jacques. On estime le nombre de tués à plus d'une centaine, et les blessés plus nombreux encore.
Le centre-ville est la proie des flammes, sans secours possible la caserne des pompiers ayant été détruite, les canalisations d’eau étant crevées. Le centre-ville est de nouveau visé le lundi 20 mai au matin. L’incendie dure cinq jours mais épargne la cathédrale.

Le clocher de l’église Saint-Honoré en feu.
La ville est prise, mais les combats continuent
Le 20 mai, les troupes allemandes occupent Amiens, étalant entre l’hôtel des Postes et le Beffroi un grand drapeau nazi qui signale à l’aviation la prise de la ville. Amiens s’est vidée de ses habitants, il reste peut-être 5 000 personnes sur 95 000. Les combats continuent à la citadelle jusqu’au soir et surtout au sud de la ville et sur le plateau de Dury. L’armée française, qui a pour objectif de bloquer la route vers Paris, bombarde les faubourgs.
Le 26 mai, les Allemands attaquent les quartiers sud de la ville, obligeant la population à se réfugier au nord de la Somme.
Le 4 juin 1940, les divisions blindées allemandes ayant réduit la poche de Dunkerque viennent en renfort et participent à la deuxième phase de l'offensive qui perce les lignes françaises. Se battant à un contre quatre, les dernières unités françaises se retirent des communes du sud d’Amiens le 8 juin.

Une ville en ruine
« Quand le voyageur, après avoir pénétré dans Amiens par des quartiers excentriques relativement épargnés, atteint le cœur de la cité, une atroce vision le saisit. […] A perte de vue. ce ne sont que ruines et l’horizon n’est borné que par des pans de murs calcinés qui menacent de s’écrouler.
En venant des boulevards, la rue de la République parait intacte jusqu’à la rue des Cordeliers et la rue des Jacobins. Mais à partir de là jusqu’à la Citadelle et de la rue Robert de Luzarches à la rue Saint-Jacques, c’est la destruction quasi totale. N'émergent de ce chaos indescriptible que la cathédrale, le Palais de Justice, l'Hôtel de Ville, l'Hôtel des Postes, les Nouvelles Galeries et Prisunic. Il ne reste de la place Gambetta que la statue de « Marie sans chemise » bien faite pour représenter le réfugié de retour au milieu des ruines. D'une manière générale, on peut dire que le Vieil Amiens a disparu. »
Extrait du Progrès de la Somme ; édition spéciale du 30 juin au 17 juillet 1940

Le quartier Saint-Germain après les bombardements d'Amiens.
L’armistice signé le 22 juin 1940, les Amiénois commencent à regagner lentement leur ville dévastée. Ils ne sont que 20 000 mi-juillet, 66 000 en août, 85 000 en décembre. Le quart de la ville est détruit et surtout le centre-ville ravagé à 60 %.
Tout est à faire : plus de commerces, plus d’eau, plus de gaz ni d’électricité. Beaucoup de maisons ont été pillées. La ville est coupée en deux au niveau de la Somme par la limite entre zone occupée au sud et zone interdite au nord. Il faut attendre le 13 décembre pour que toute la ville soit englobée en zone occupée.
Les Allemands ont désigné comme maire le 17 juin 1940 Léon Debouverie. Cet ancien combattant de Verdun resté pendant les bombardements, gère notamment les inhumations.
Il doit mettre en application le rationnement individuel imposé à la population le 31 juillet 1940 : 300 grammes de pain par jour, 700 grammes de viande par semaine, 750 grammes de sucre par mois.
Commencés en août 1940, les travaux de déblaiement et d’arasement sont terminés dans l’été 1941. Des constructions provisoires sont édifiées sur les boulevards extérieurs pour les commerçants et les particuliers.
La volonté de reconstruire
La reconstruction est pensée dès octobre 1940. Pierre Dufau, natif d'Arras mais dont la jeunesse fut amiénoise, conçoit le plan d’un nouvel Amiens selon trois grands principes : une ville aérée par de nouveaux axes de circulation, des parcelles agrandies et un marquage du centre-ville par des ensembles architecturaux.
Le projet, déclaré d'utilité publique le 23 juin 1943, s’applique avec quelques modifications après 1945. Ainsi la rue des Trois-Cailloux, axe principal du centre-ville sera élargie à 20 mètres, pour faciliter la circulation Est-Ouest. Le centre-ville se distingue désormais par la largeur de son bâti et l'ampleur de ses espaces publics, tandis que les faubourgs gardent leurs tracés originaux.

Le Progrès de la Somme, 31 mai 1944.

Le nouveau tracé des rues en centre-ville.
La veille du débarquement de Normandie le 6 juin 1944, les Anglo-Américains multiplient les raids aériens pour détruire toutes les voies de communications depuis Anvers jusqu’à Nantes.
Par trois fois, les 27 et 28 mai 1944, les pilotes américains larguent plus de 900 bombes de 250 kg sur la gare du nord mais aussi sur les quartiers d’Henriville et de Saint-Acheul pour éviter les tirs de la défense anti-aérienne.
On relève 204 morts enterrés pour la plupart au cimetière de La Madeleine, 250 blessés et plus de 4 000 maisons détruites.
A la libération, la ville est à reconstruire : sur les 30 000 immeubles recensés en 1939, 6 300 immeubles sont entièrement détruits et plus de 14 000 autres sont partiellement endommagés.