À la recherche du street art perdu
Comment archiver, historiciser, valoriser une pratique naviguant entre illégalité et commande publique ? IC.ON.IC et Arcanes reconstruisent la mémoire de l’art urbain jusqu’au 17 décembre à l’espace Camille-Claudel de l’UPJV.
07.12.2022
Des “blackbooks” (carnets très personnels des tagueurs / graffeurs / artistes de rue), des sweats customisés, des sprays, des masques de protection, des pieds de biche, des fanzines, de vieilles photos et des appareils de prises de vues… De sa conception à sa conservation – souvent par l’artiste lui-même –, voilà toute la vie d’une œuvre graphique de rue résumée en quelques vitrines à l’espace Camille-Claudel de l’université de Picardie Jules-Verne (UPJV). S’y ajoutent les prémices d’un catalogage rigoureux des divers mouvements accompagnés de plusieurs fiches artistiques documentant, souvent avec précision et moult visuels, des œuvres représentatives de l’art urbain.
Jusqu’au 17 décembre, à l’occasion de la deuxième édition d’IC.ON.IC, Amiens accueille le work in progress de ce qui est amené à devenir un vaste outil de ressources en ligne de l’art urbain : Arcanes (Centre national des archives numériques de l’art urbain). C’est l’une des premières villes de France à scruter ainsi l’histoire de ce mouvement qui se nourrit d’illégalité mais qui représente « tout un pan de l’expression artistique d’aujourd’hui à reconsidérer, pose Fabiana de Moraes, chargée de projets patrimoine et arts visuels à Amiens Métropole. C’est de l’art contemporain, tout simplement, et en plus il s’adresse à tous, y compris à ceux qui ne poussent pas les portes des galeries ».
Reste que cette pratique ne peut produire, par définition, que des œuvres éphémères. Qu’il y a une culture du recommencement, de l’effacement, un mouvement de création perpétuel. Que ses artistes doivent jongler avec la répression, engendrant le culte de l’anonymat, du “blaze”. Autant de choses qui compliquent sa conservation et sa mise en perspective. D’où le projet national Arcanes qui, grâce à cette exposition, va s’enrichir de traces du street art et du graffiti amiénois. Des vidéos de Kzed en font d’ores et déjà partie. Par ailleurs, l’espace Camille-Claudel présente des commandes passées pour l’événement à deux autres noms du cru, A13 et Kofoh, dans l’exposition IC.ON.IC Factory.
Cette légitimation du street art va de pair avec les réalisations encadrées du parcours urbain à Saint-Leu. Les deux faces d’une même médaille. « Lors des créations, certains artistes invités n’hésitent pas à “se faire un pont” avec la scène locale », illustre Fabiana de Moraes. Les frontières sont poreuses, les postures variables, l’économie aléatoire : certains artistes peuvent aujourd’hui vivre de ce qui fut longtemps vécu par d’autres comme une pratique risquée et non rémunératrice.
« Aujourd’hui, le street art est entré dans les maisons et dans les mœurs »
Amiens entend poursuivre cette démarche de valorisation et de conservation de l’art urbain tout en assumant d’en effacer au quotidien : cela fait partie du jeu – les responsables de ces effacements et les artistes locaux ont d’ailleurs pu échanger lors de la Journée des arts urbains le 16 novembre au Musée de Picardie. Il s’agit aussi d’offrir des espaces d’expression, de travailler la professionnalisation et de creuser le sillon de la recherche. L’UPJV, notamment via son UFR des arts et le CRAE (Centre de recherche en art et esthétique), s’y penche. « Il faut développer l’archivage et la compréhension de cet art qui explose, estime Nicolas Henssien, responsable du pôle filières et créations d’Amiens Métropole. Aujourd’hui, le street art est rentré dans les maisons et dans les mœurs. » Reste à le graver dans la mémoire de l’histoire de l’art.
Jean-Christophe Fouquet
Expositions Intra Muros : Arcanes et IC.ON.IC Factory Espace Camille-Claudel (placette Lafleur) Jusqu’au 17 décembre |