Cinéma : les nouvelles lois de l’attraction
Alors que la filière tire la sonnette d’alarme, les salles jouent la carte de l’événementiel. Exemple avec le mystérieux festival Imperceptibles, du 22 au 24 novembre aux cinémas St-Leu et Orson-Welles.
15.11.2022
Trois thèmes, trois rendez-vous à 20h, du 22 au 24 novembre. Dans l’ordre : Nô Métamorphoses (Ciné St-Leu), Under the Ghosts (cinéma Orson-Welles) et Dramaqueer (Ciné St-Leu).
Derrière ces intitulés plus ou moins limpides se cachent à chaque fois un film mystère en avant-première accompagné d’une performance artistique. Le tout précédé d’un parcours en réalité augmentée menant à la salle. Voilà le concept du festival Imperceptibles, dont la deuxième édition a choisi Amiens comme terre d’escale : cultiver le mystère, cibler les nouvelles technologies, exploiter les réseaux sociaux.
Imperceptibles compte parmi les idées retenues par le challenge d’innovation Futur@Cinéma qui, depuis l’année dernière, propose un cursus d’accompagnement et d’accélération de projets innovants visant la « reconquête des publics », comme le pose le programme. Et particulièrement des 15-25 ans auprès desquels il s’agit de « réhabiliter le cinéma en salle ». Le concept, né dans le sillage du Covid qui a engendré la fermeture des salles françaises pendant plus de six mois, est révélateur du climat actuel. Un climat de crise.
Cette nouvelle crise s’ajoute à la longue liste des moments de panique de l’histoire du septième art en tant que sortie collective, que l’on a dit mort à maintes reprises depuis les années 50 et l’arrivée de la télévision. Suivirent la VHS, le piratage, puis aujourd’hui le streaming et la production massive de “contenus” chronophages dont la crise sanitaire a accéléré l’essor. Mais la salle s’en est jusque-là toujours sortie. |
Un collectif de personnalités et de structures professionnelles a ainsi lancé le 6 octobre un appel à des états généraux du cinéma, où la question des entrées s’adosse à des réflexions plus larges sur la filière – notamment le soutien à la création dans toute sa diversité. Arrière-plan : un mois d’août 2022 à la fréquentation la plus basse depuis vingt ans en France (le mois de novembre repart sur une pente ascendante).
« Il y avait déjà une tendance générale à la baisse avant le Covid, mais elle était masquée par la hausse de fréquentation des baby boomers, situe Boris Thomas, qui pilote le Ciné St-Leu, mono-écran Art et Essai amiénois. Or, ces derniers ont du mal à revenir en salle. » Parallèlement, le décalage avec la jeunesse rivée aux plus ou moins petits (et transportables) écrans se creuse. D’où la tentative d’Imperceptibles : se servir des smartphones pour mener à la toile de ciné.
Ce parapluie qu’on sort par gros grain porte un nom : l’événement. Susciter le désir. Une tendance accrue depuis la fin de la pellicule, car le numérique facilite les séances uniques, qu’il s’agisse d’avant-premières, d’œuvres locales, de films cultes – ou, inversement, de raretés –, de cycles, de soirées adossées à l’actualité (telle, au St-Leu, La Tête contre les murs, tourné à l’hôpital Pinel, lors des dernières Journées européennes du patrimoine), de débats ou encore de ciné-concerts. Autre atout dans la manche : la programmation jeune public. Car, pour un enfant, aller au cinéma est en soi un événement.
« Oui, on a tendance à “événementialiser” de plus en plus, confirme Boris Thomas. Il faut le faire, même si on ne peut pas le faire tout le temps. » En se conformant à ces nouvelles lois de l’attraction des salles, le St-Leu a gardé ses couleurs : une hausse de 18 % de la fréquentation en été 2022 par rapport à 2019. Et 20 entrées de plus en septembre 2022 qu’en septembre 2019. La situation est peut-être grave, mais pas désespérée.
Prochaine séance événement au Ciné St-Leu, actuellement en plein Festival international du film d’Amiens : le 1er décembre, à 18h, pour un tournoi de jeu vidéo sur grand écran suivi de Tron (1982), en amont du Forum de la création audiovisuelle le 3 décembre au Safran. |
Jean-Christophe Fouquet