De Saqqarah à Amiens, le mystère Youyou s’éclaircit
De récentes découvertes dans la nécropole de Saqqarah, près du Caire, éclairent deux pièces des collections d’antiquités égyptiennes du Musée de Picardie. Une aubaine pour ses équipes qui, depuis le retour de la momie et des sarcophages, réfléchissent à la réorganisation de ces trésors archéologiques.
09.05.2023
L’Égypte n’en finit pas de révéler secrets et trésors vieux de plusieurs millénaires, souvent enfouis sous le sable. En février-mars, l’expédition archéologique Leyde-Turin menée dans la nécropole de Saqqarah, site classé au patrimoine mondial de l’Unesco célèbre pour sa pyramide à degrés – sépulture du roi Djéser –, a mis au jour une tombe et quatre chapelles funéraires contemporaines de Ramsès II. Jusqu’ici pas grand-chose à voir avec Amiens. Sauf que… Parmi ces découvertes, une chapelle de 1 mètre sur 1,15 mètre a attiré l’attention de Lara Weiss, conservatrice des collections égyptiennes et nubiennes au Musée national des antiquités de Leyde (Pays-Bas). En effet, ce lieu de sépulture dédié à un certain Youyou, fabricant d’or en feuilles au XIIIe siècle avant notre ère, était incomplet. Sans doute visité et pillé au XIXe siècle, époque où les lois internationales sur l’archéologie n’existaient pas, ses montants de porte manquaient. La directrice des fouilles a fait le lien avec deux pièces concordantes présentes à Amiens, et dont les hiéroglyphes mentionnent aussi le nom de l’orfèvre. « Rocambolesque », sourit Agathe Jagerschmidt-Séguin, conservatrice du patrimoine au Musée de Picardie. « J’ai reçu un appel de Lara Weiss en mars qui m’annonçait avoir probablement trouvé la provenance de nos montants de porte, qu’elle avait repérés dans des publications. »
Légués par Albert Maignan
Ces deux pièces en pierre calcaire couvertes de hiéroglyphes font partie du legs inestimable du peintre et illustrateur Albert Maignan, « qui irrigue tout le Musée ». « Il est fort probable qu’il ait acquis sa collection d’antiquités égyptiennes en une seule fois lors d’une vente publique, estime Agathe Jagerschmidt-Séguin. Elle n’est pas vaste mais variée et appartenait à un égyptologue désargenté, Émile Amelineau. » L’origine de ces pièces funéraires restait floue même si Saqqarah, nécropole de la capitale de l’Ancien empire Memphis, semblait probable, comme l’indique le cartel accompagnant l’un des montants de porte dans les salles archéologiques du Musée. « En avoir la certitude est une mine d’or, se réjouit la conservatrice. Nous connaissons désormais les dimensions de la chapelle, ainsi que le reste des inscriptions. » Ce petit lieu de recueillement abritait quatre membres de la famille Youyou et témoignait de leurs cultes spécifiques.
L’importance de la science
De précieuses informations pour le Musée de Picardie donc. Car depuis le retour de la momie et des sarcophages, ses équipes réfléchissent à une réorganisation des collections égyptiennes autour de ces pièces vedettes. « Au XIXe siècle, période où le Musée est né, le contexte des objets importait peu, contrairement à aujourd’hui. On cherchait des pièces exemplaires, notamment avec des inscriptions. Beaucoup d’éléments de nos collections archéologiques restent mystérieux, notamment parmi les antiquités grecques. Maintenant, nous faisons parler des objets qui peuvent parfois sembler insignifiants, grâce à leur contexte. Nos collections continuent à vivre grâce et à travers la science. » Ainsi, la conservatrice imagine engager la restauration du second montant de porte – aujourd’hui dans les réserves car trop abîmé – et concevoir une présentation qui évoquerait les dimensions de la chapelle et le décor en place.
Des restaurations à venir
L’exposition Le Retour de la momie et des cercueils n’a pas démenti la fascination du public pour l’Égypte antique. « Le Musée a enregistré 45 % de fréquentation de plus par rapport à l’année précédente, se réjouit Agathe Jagerschmidt-Séguin. Cette exposition n’a pas vraiment de fin, elle restera en place jusqu’au réaménagement complet des collections égyptiennes. On attend encore de nouvelles informations sur ces pièces passées notamment au carbone 14. Selon les résultats, nous pourrons encore faire évoluer leur présentation et notre discours. » Mais d’autres chantiers sont envisagés comme la restauration de toute la collection d’albâtres égyptiens et d’une coupe de la Ire dynastie aujourd’hui en réserve, l’analyse de trois vases canopes contenant des résidus de matière noire, la remise en état des textiles coptes… Parmi les trésors du Musée, un coffret « en 1 000 morceaux » présentant le cartouche de Toutankhamon. « S’il semble difficile de le restituer entièrement, nous cherchons un moyen de le présenter aux visiteurs. » De beaux défis qui attendront la fin du montage de l’exposition sur la préhistoire prévue en fin d’année. Un autre chantier aussi vaste que passionnant.
Coline Bergeon
Le saviez-vous ? Depuis les années 1970, des accords internationaux sur l’archéologie interdisent d’acheter des objets dont on ne connaît ni l’histoire, ni la provenance. Il y a trop de risques de tomber sur des pièces sorties illégalement des pays. |
Traduction des hiéroglyphes de la chapelle de Youyou Messages inscrits sur le montant de porte en calcaire (XIXe dynastie) présenté dans les salles archéologiques du Musée de Picardie.
« Offrande que donne le roi à Osiris qui préside à l’Occident afin qu’il accorde d’aller et venir dans la nécropole au fabricant d’or en feuilles Youyou, juste de voix. »
« Offrande que donne le roi à Ptah-Sokar qui réside dans le sanctuaire-shedjyt, afin qu’il donne un millier de toutes choses bonnes et pures au fabricant d’or en feuilles Youyou, juste de voix. »
« Offrande que donne le roi à Isis qui préside à l’Occident et à Hathor, la maîtresse du Sycomore, afin qu’elle (sic) permette que vive ton ba, Youyou, juste de voix. » |