Des caves scannées pour la postérité
Les agents d’Amiens Métropole ont scanné deux caves médiévales avant leur remblaiement. Une nouvelle façon d’archiver le passé.
04.07.2023
C’était le 28 juin, lors de la dernière journée d’intervention des archéologues d’Amiens Métropole à mi-hauteur de la rue des Augustins, à l’angle de la rue Dupuis. Là où un temps se trouvaient, entre autres, les locaux de l’Acap et un dojo. Un programme immobilier y est attendu pour 2025 : La Villa des Augustins. De cet îlot en U, seul le bâti principal (datant de la première moitié du XIXe siècle, à gauche en regardant la parcelle du trottoir) sera conservé. Pour des raisons de sécurité, le diagnostic architectural a dû se concentrer sur le bâti. Mais les nouvelles constructions n’impliquent pas de destruction des sols en profondeur.
Bientôt comblées
Le service d’archéologie préventive d’Amiens Métropole est néanmoins intervenu en accord avec le propriétaire. Mission : scanner les caves médiévales réparties sous le bâti principal, mais aussi sous des portions de la cour et du fond de cour. Pour des raisons de sécurité, ces caves vont en effet être remblayées avec un coulis se lovant dans les interstices pour tout consolider. Une opération classique à Amiens, où les cavités sont nombreuses. L’intervention des archéologues de la collectivité aura donc permis de graver dans le marbre numérique ces caves jusque-là non répertoriées, avant qu’elles ne soient plus accessibles. Elles avaient au préalable été visitées par le service gestion des risques afin d’établir le protocole de sécurité à suivre.
Transformées au fil des ans
La première cave, dont la voûte est à 1,5 mètre sous le niveau du sol, donnait accès vers l’ouest à la seconde cave maçonnée. Présentation par Baptiste Marchand, en charge de l’opération : « Il s’agit d’architecture simple, avec une base en pierre de taille calcaire – mais aussi des briques là où ont été opérées des reprises d’œuvre. Des doubleaux à chanfrein plat assurent le maintien de la voûte ». Une partie de reprise de la maçonnerie « typique des XVIIe et XVIIIe siècles, indique qu’une portion de ces caves située sous la cour, ainsi qu’un autre accès, ont été comblés il y a longtemps ».
Séparées par un mur
Pour atteindre la seconde cave, il a fallu s’en prendre à l’un de ces murs de briques postérieurs à la construction des caves. Derrière, « la cave en second niveau était en partie remblayée et dans un état déplorable ». Après un premier recensement de la cave supérieure, celle-ci a accueilli le remblai du couloir d’accès à la seconde cave, évacué par les archéologues à la force du poignet (enfin, avec une aspiratrice-excavatrice !). Dedans : « Un dépôt lacustre indiquant une présence d’eau. Il y avait ici une citerne maçonnée privée, qui pouvait également servir en cas de guerres ou d’incendies ».
Dans les fossés de l’enceinte
Les archéologues se sont aussi brièvement attaqués au sol, creusant à une cinquantaine de centimètres de profondeur dans un espace exigu. Au cas où : « Nous sommes dans les fossés intérieurs de l’enceinte du XIIe siècle », explique Baptiste Marchand. D’où un certain potentiel. La mini-fouille, opérée à la main de façon préventive pour ne pas avoir de regrets, a permis de collecter un peu de mobilier, notamment de la céramique. Ce qui confirme l’estimation de l’âge de ces caves.
Datées fin XVe, début XVIe siècle
On le sait, à Amiens, il s’avère « souvent complexe de dater les caves avec précision », rappelle Baptiste Marchand. En l’occurrence, ces deux caves n’ont pu « être construites qu’après que le fossé de l’enceinte du XIIe siècle a été remblayé ». Or ce comblement, ainsi que le démantèlement de l’enceinte, ne sont intervenus que dans le dernier quart du XVe siècle, après le siège avorté d’Amiens par Charles le Téméraire. On les estime donc datant « de la fin du XVe ou du début du XVIe ».
Reproduites en millions de points
Ces caves ont donc été scannées en plusieurs temps afin d’en garder la trace grâce aux nouvelles technologies. Au passage, l’équipe a également scanné la surface, notamment les bâtiments voués à disparaître. Pour cela, l’objectif motorisé et installé sur pied face à l’entrée de la parcelle a « tourné sur lui-même pendant cinq minutes, pour une vue à 360°, avec un laser qui répertorie des millions de points sur les murs en plusieurs fois afin de détecter et effacer les objets en mouvement », explique Brice Langlois, technicien du service topographie d’Amiens Métropole. L’appareil prend aussi des photos.
Désormais géoréférencées
Le résultat apparait en 3D sur la tablette qui complète l’équipement. Ce relevé 3D couplé au relevé topographique permet de géoréférencer les lieux scannés « selon le système national de cartographie (projection conique conforme de Lambert, CC50, ndlr) ». En résumé, c’est une opération « trois en un : des mesures, des photos et une vue 3D ». Ce dispositif a déjà été utilisé par Amiens Métropole « sur sept dossiers depuis septembre 2022, informe Brice Langlois. Il sert pour la gestion des risques, par exemple suivre l’évolution des fissures, ou encore pour inventorier des murs classés, à l’image des armoiries de la rue de Condé ».
À noter que quelques jours auparavant, juste derrière cette parcelle, dans le parc de l’Évêché, un petit affaissement avait nécessité une analyse express des archéologues et du service gestion des risques. « Mais c’était superficiel », rassure Baptiste Marchand. Même si Amiens compte beaucoup de cavités (une petite trentaine de caves médiévales sont répertoriées et conservées), des effondrements comme celui de la place Léon-Debouverie l’été 2020, il n’y en a pas tous les jours.
Jean-Christophe Fouquet