« Faire naître du théâtre là où il n’y en a pas »
Du 7 au 14 mars, la Comédie de Picardie se donne en spectacle avec quatre rendez-vous éclectiques. Du théâtre avec Camus-Casarès, une géographie amoureuse, de la musique autour de Nous sommes un poème, une œuvre immersive avec Hernani on Air. Et une création culinaire en compagnie de L’aventure est dans votre cuisine dont Nicolas Auvray, le directeur du théâtre, signe la mise en scène. Entretien.
28.02.2023
Vous avez adapté L’aventure est dans votre cuisine à découvrir les 9 et 10 mars, au centre culture Léo-Lagrange. Qu’est-ce qui vous plaît dans le rôle de metteur en scène ?
Après Les Fables de La Fontaine et plus de 80 représentations depuis 2019, L’aventure est dans votre cuisine est ma deuxième mise en scène. S’attaquer à l’œuvre de La Fontaine était complexe mais grisant. Lamise en scène, c’est réjouissant comme une période de vacances. Dès que l’on entre en répétition, on oublie les problèmes du quotidien. La force de la création est que l’on ne réussit qu’une fois sur le plateau. Ça donne une liberté intérieure très plaisante. Ce qui m’intéresse est de mettre en scène des textes non théâtraux et de créer dans des lieux inhabituels, de faire naître du théâtre là où il n’y en a pas.
Pour incarner ce texte de Marie-Paule Pomaret et Hélène Cingria, vous avez choisi deux jeunes élèves du Conservatoire. Pourquoi ce choix ?
C’est pendant le confinement que mon équipe et moi avons décidé de créer un spectacle 100 % made in Comédie de Picardie. Je voulais faire appel à deux comédiens et mon choix s’est porté sur des élèves du Conservatoire d’Amiens Métropole. Amandine Testu, que j’avais déjà entendue lors d’une lecture au bar du théâtre, et Niels Roelandt, qui était contrôleur au théâtre. Beaucoup de nos hôtesses et contrôleurs sont élèves au Conservatoire. Durant le deuxième confinement, nous avons répété ici puis monté le spectacle à côté de Montreuil-sur-Mer. Grâce à nous, Amandine et Niels se sont professionnalisés. C’est important de nous appuyer sur nos propres forces. Les élèves du CRR viennent travailler chez nous et à la Maison de la culture. Il faut d’ailleurs que nous invitions des professionnels et des compagnies de la région à venir les découvrir.
De quoi parle L’aventure est dans votre cuisine ?
C’est un livre écrit par deux femmes de lettres, publié dans les années 50, traduit en anglais et en italien. On ne le trouve plus aujourd’hui que chez les bouquinistes. Ce livre n’est pas un livre de recettes traditionnelles. Il est écrit comme de la littérature. La pièce raconte l’histoire de deux jeunes un peu désœuvrés qui se rencontrent lors d’un vide-grenier. L’un des deux vend des ustensiles. L’autre tombe sur ce livre qui s’ouvre comme un voyage, un conte de fées au sein d’une cuisine d’inspiration méditerranéenne. La pièce fait référence à la malbouffe et aux difficultés alimentaires de ces deux jeunes. Un contraste avec la gastronomie.
Assiste-t-on à la réalisation d’une véritable recette ?
Tout à fait ! Nous avons choisi une ratatouille ou bohémienne dans le Sud de la France. Je voulais une recette simple qui parle à tout le monde. Ce qui m’intéressait était que les gens puissent comparer avec leur propre plat. Je fais référence aux émissions culinaires. On voit donc les deux comédiens couper des légumes… On parle de marché, d’œufs et aussi ce qui touche à la viande et pourrait paraître barbare comme le lièvre au sang. Je me suis replongé dans les vieilles émissions de Maïté. C’était atroce, on ne pourrait plus tourner ça aujourd’hui.
Qu’en est-il des trois autres propositions de la programmation ?
Avec Hernani on Air de Mona El Yafi, le spectateur est doté d’un casque (au centre culturel Jacques-Tati le 14 mars, ndlr). C’est comme une émission radio dans laquelle une journaliste invite les comédiens de Hernani de Victor Hugo à parler. C’est réduit et adapté. On aura Camus-Casarès, une géographie amoureuse d’Élisabeth Chailloux (d’après la correspondance d’Albert Camus et Maria Casarès entre 1944 et 1959, à la Comédie de Picardie le 7 mars, ndlr). On retrouvera aussi Stanislas Roquette, artiste associé à la Maison de la culture, dans Nous sommes un poème. Un spectacle musical tout terrain joué ici dans le bar de la Comédie pour 40 spectateurs
Vous ouvrez souvent votre bar à de petites formes. Ce soutien est finalement dans l’ADN de la Comédie de Picardie…
Cela apporte de la satisfaction. Le collectif de L’Éventuel hérisson bleu a par exemple commencé ici il y a une quinzaine d’années. Il tourne maintenant sur des scènes nationales. Pauline Bureau, ancienne artiste associée, fait dorénavant de la mise en scène pour la Comédie-Française. C’est important d’aider à mettre le pied à l’étrier. Olivier Mellor de la Compagnie du Berger, que nous avons soutenu, va aussi jouer Ruy Blas à la Maison de la culture. Hugues Delamarlière, engagé dans un film de Robin Campillo, a été accueilli ici en stage de troisième. C’est une belle histoire. Nous avons deux artistes associés. Arnaud Anckaert, qui a mis en scène Les Règles du jeu (présenté en novembre à la Comédie de Picardie, ndlr) et Audrey Bonnefoy, créatrice de spectacles jeune public diffusés en région.
Être présent en région est-il important pour la Comédie de Picardie ?
C’est lié à l’histoire de la Comédie de Picardie : être un théâtre fixe et itinérant à la fois. Beaucoup de théâtres se sont recentrés sur leur ville siège et diffusent peu dans leur territoire régional. Il y a autant de dates à Amiens qu’en région : 80 chacune. De nombreux spectateurs dans le Doullennais par exemple viennent aussi s’abonner à Amiens. En partie grâce au travail des enseignants, nous avons aussi un lien fort avec les scolaires. Ce sont les spectateurs de demain. J’ai commencé à travailler dans un centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse. Je suis très attaché à ouvrir les portes du théâtre aux plus jeunes. Cela permet de renouveler le public.
Comment le théâtre se porte-t-il ?
Nous avons retrouvé la recette billetterie d’avant Covid et le même niveau de fréquentation. Même si la crise énergétique nous contraint de revoir notre programmation, c’est rassurant. Ici, c’est 30 000 spectateurs à l’année. Le bilan en France n’est pas négatif. Il y a du monde dans les théâtres. Je veux promouvoir la diversité. Tout comme lorsque l’on va au musée, on peut se passionner pour plusieurs styles de peintures. Il n’y a pas de raison de ne pas s’intéresser à la fois au répertoire classique et à des créations contemporaines. Le théâtre est multiple. C’est une découverte perpétuelle.
Propos recueillis par Ingrid Lemaire
- Camus-Casarès, une géographie amoureuse, le 7 mars, à 14h et 19h30, et Nous sommes un poème, les 9 et 10 mars, à 20h30, et le 11 mars, à 19h30, à la Comédie de Picardie et au bar du théâtre (62, rue des Jacobins)
- L’aventure est dans votre cuisine, le 9 mars, à 14h30 et 19h30, et le 10 mars, à 14h30 et 19h30, au centre culturel Léo-Lagrange (14, place Vogel)
- Hernani on Air, le 14 mars, à 14h30 et 19h30, au centre culturel Jacques-Tati (rue du 8-Mai-1945)
Tarifs : 10 € adultes et 5 € pour les moins de 18 ans ou étudiants de moins de 26 ans – comdepic.com