« Ne prenez plus de tortues chez vous ! »
Le zoo d’Amiens Métropole prend en charge les tortues de Floride dont les habitants se débarrassent afin que cette espèce aquatique invasive et menaçante pour l’équilibre écologique ne prolifère plus dans la nature.
21.05.2024
Considérée comme une espèce invasive et dangereuse pour la biodiversité, son importation est interdite par l’Union européenne depuis 1997. La tortue de Floride, animal aquatique d’eau douce originaire d’Amérique du Nord et reconnaissable à ses tempes rouges, continue pourtant de combler l’envie puis d’embarrasser les familles qui les relâchent dans les étangs et les rivières. Vorace, résistante et sans prédateur, la tortue devient dans la nature un danger pour l’équilibre écologique, la faune et la flore. Certaines auraient ainsi été aperçues dans les étangs de Boves… Une hérésie pour le zoo d’Amiens Métropole, site fléché comme lieu de récupération et qui a instauré un protocole en 2022, même s’il a toujours recueilli les pauvres bêtes. Les habitants désireux de “confier” l’animal, qui peut vivre jusqu’à 50 ans, peser jusqu’à trois kilos et dont la carapace peut mesurer jusqu’à 25 centimètres, sont reçus sur rendez-vous du 15 avril au 30 septembre. « On ne parle plus d’abandon pour ne pas culpabiliser », souligne Pierre Bouthors au parc animalier.
Mal en point, carencées, déformées
La période de prise en charge des tortues prend en considération son cycle d’hibernation. « Chez les gens, elles vivent dans le salon. Mais ici, on respecte son rythme de vie. Elles s’enfoncent dans la vase jusqu’aux beaux jours. Certaines ratent cette période et ne survivent pas », déplore Pierre Bouthors. Une fois recueilli, le reptile est enregistré, identifié et placé en quarantaine sous surveillance des soigneurs. Il y a autant de décès que d’arrivées. « Certaines tortues arrivent très mal en point, sont dénutries, carencées, présentent des faiblesses physiques énormes ou des déformations. Les personnes ne se rendent pas compte parce qu’ils ne sont pas spécialistes et c’est normal. Sans aucune information ni sensibilisation, on leur vend une tortue comme si c’était facile alors qu’en réalité, c’est très technique », confie le défenseur de la cause animale.
« Elles sont de grandes carnivores »
Les 27 individus actuellement en quarantaine ne sont plus adoptables et rejoindront les 98 autres dans un lieu spécial, pour le moment non accessible au public. Afin d’y couler des jours plus heureux en attendant l’aménagement muséographique d’un bassin pédagogique et de sensibilisation aux tortues. Le recensement annuel, réalisé le 16 mai dernier, n’en a jamais comptabilisé autant. Elles étaient 95 en 2023. Au zoo, cela devient problématique et on insiste : « Ne prenez plus de tortues chez vous ! » « Beaucoup se rendent compte trop tard qu’elle est une grande carnivore. Elle mange tout ce qu’elle trouve. Quand elle est relâchée dans la nature, c’est un massacre pour notre écosystème. Notre enclos est de fait “tortueproof” », indique Pierre Bouthors. Au zoo, des dizaines de poulets sont ainsi ingurgités par semaine.
Le travail des soigneurs impacté
Nicolas Lefrique, gestionnaire de la collection animalière au zoo, confirme la problématique de ce reptile. « Les familles achètent de mignonnes petites tortues dans les animaleries en Belgique, en Allemagne ou aux Pays-Bas, où on peut encore en trouver. Celles achetées dans les années 2000 ont atteint une grande taille alors qu’elles vont continuer à grossir toute leur vie. L’aquarium n’est plus assez grand. Les gens s’en séparent. Abandonnées dans la nature, elles sont invasives et prennent la place de nos espèces locales. » Pour le spécialiste, il faut absolument arrêter d’acheter ces animaux dont la vente est, rappelons-le, interdite en France : « Le trafic animalier n’est pas étranger à la situation que rencontre comme nous, une vingtaine d’autres zoos fléchés comme lieux de récupération. Depuis le 15 avril, on a déjà recueilli une trentaine d’individus. C’est beaucoup. » Le travail des soigneurs est par ailleurs impacté : pendant qu’ils s’occupent des tortues, ils ne veillent pas sur les autres animaux. Le coût que génèrent l’accueil, les soins, le nourrissage et la gestion au quotidien est un autre point non négligeable pour le parc zoologique. Quel qu’il soit, adopter un animal n’est pas sans conséquences. Pensons-y.
Ingrid Lemaire
Zoo d'Amiens Métropole : zoo-amiens.fr