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Sophie Mille, directrice des Rendez-vous de la BD d’Amiens : « On fonctionne par coups de cœur »

Entretien avec Sophie Mille, la nouvelle directrice des Rendez-vous de la BD d'Amiens, à la veille de l'édition 2024 qui débute le 1er juin halle Freyssinet.

Sophie Mille, nouvelle directrice du festival BD d'Amiens. © Noémie Laval
Sophie Mille, nouvelle directrice du festival BD d'Amiens.

28.05.2024

Diplômée de Sciences Po Lille, elle se destinait au journalisme. Mais l’appel de la culture fut plus fort. Tour à tour chargée de diffusion, technicienne, machiniste, régisseuse générale, Sophie Mille est devenue, après un passage à Amiens Métropole, coordinatrice des Rendez-vous de la BD d’Amiens il y a quatre ans. Elle a pris la direction de l’événement cette année. Dans l’effervescence de la halle Freyssinet, à quelques jours de l’ouverture des Rendez-vous, elle évoque pour nous son parcours, ses envies, sa vision du festival et de l’édition 2024.

 

 

L'ENTRETIEN

Comment avez-vous découvert les Rendez-vous de la BD ?

Mon dernier travail en tant que régisseuse intermittente, c’était ici, halle Freyssinet, au moment où les Rendez-vous y arrivaient en 2018. J’ai alors rencontré toute l’équipe. Je connaissais le festival en tant que “touriste”, mais là je me suis retrouvée au cœur de la manifestation au moment d’un gros challenge : installer le festival dans un nouveau lieu, quatre mois avant !

 

Vous êtes revenue deux ans plus tard ?

Pascal (Mériaux, directeur du Pôle BD Hauts-de-France, ancien directeur des Rendez-vous, ndlr) m’a rappelée en 2020 pour reprendre la coordination du festival. J’avais adoré l’expérience de 2018, alors j’ai dit oui. Après quatre ans en tant que coordinatrice, l’équipe et le bureau m’ont proposé d’en prendre la direction.

 

Quelle est la répartition des rôles ?

L’association On a marché sur la Bulle avait été créée pour le festival. Elle s’est tellement développée et structurée, avec notamment les deux SARL que sont les éditions de la Gouttière et La Bulle expositions, sans parler de son service éducatif et de son centre de ressources, que l’on s’est transformé en pôle BD pour tout regrouper. Il fallait un pilote pour ce pôle : Pascal. Mon poste, lui, tourne vraiment autour du festival. Et du projet de la Pic (future plate-forme des images et de la création, à deux pas, dans l’ancien tri postal, où l’association et le festival iront s’installer, ndlr), dans lequel je m’implique aussi.

 

C’est une grosse équipe ?

En tout, on est 19 salariés à temps plein, permanents. Dont deux pour le festival. Mais pendant ce dernier, toute l’équipe est investie d’une manière ou d’une autre, c’est ça qui est génial. Tout le monde participe. Entre les médiateurs, les techniciens, les agents de sécurité, une soixantaine de personnes nous rejoignent au moment de l’événement. Ainsi qu’une centaine de bénévoles ! Tout est structuré, chacun sait exactement ce qu’il a à faire. Maintenant, à la halle Freyssinet, on est chez nous. On a vraiment trouvé notre mode de fonctionnement. Même s’il y a forcément des coups de “bourre” et des imprévus.

 

Quel est votre rapport à la BD ?

Au départ, je n’étais pas une grande férue de bande dessinée. J’en lisais un peu. Des romans graphiques, des sujets d’actu, mais à la marge. En me rendant sur le festival, j’ai remarqué qu’il n’y avait pas besoin de s’y connaître en BD. Déjà à l’époque, les expos, la scénographie, nous plongeaient dans des univers, avec toutes les clefs pour découvrir des auteurs. Et même pour les spécialistes, il y avait de la matière. Idem pour le jeune public. En tant que maman, c’était super. Ouvert, familial... Tout m’intéressait.

 

Vous en lisez plus, désormais ?

Depuis 2018, le fait de rencontrer une équipe dont la plupart viennent de la BD, où il y a même des auteurs, et d’avoir des échanges quotidiens sur nos lectures, nos coups de cœur, cela m’a énormément nourrie. Désormais, j’en lis beaucoup. En plus, on a la chance d’avoir une bibliothèque en interne pour découvrir les nouveautés, savoir ce qui se fait. On peut aussi se plonger dans le fonds historique. Il y a toutes les possibilités.

 

Comment s’organise le festival ?

Nous sommes les seuls à fonctionner par invitation directe, sans passer par les éditeurs. Ailleurs, les éditeurs sont conviés et invitent leurs auteurs. Nous, c’est l’inverse. On a une cellule artistique composée d’une quinzaine de personnes, bénévoles et salariés, tous élus, qui se réunit une fois par mois et qui choisit le plateau d’auteurs, celui qui va faire l’affiche et travaille sur les expositions. Sur chaque exposition, on a des binômes salariés / bénévoles en commissaires d’exposition. Tous les pans de la BD sont représentés. C’est ce qui crée notre diversité, notre force.

 

Vos critères sont spécifiques ?

On ne veut pas de ligne directrice, on fonctionne par coups de cœur. On cherche de la cohérence, un équilibre entre le pointu et le populaire, pour créer un plateau qui s’adresse à tous les publics, tout-petits, ados, adultes. Depuis quatre ans, on veut aussi du manga chaque année. On sait l’importance du manga en termes de lecture, de ventes, d’impact sur les jeunes lecteurs. On travaille nos relations avec les éditeurs en France et au Japon. C’est tout un processus. Cela prend beaucoup plus de temps qu’une exposition classique.

 

Et les comics ?

Cette année, nous n’en n’avons pas, mais nous sommes sur un gros dossier que l’on prépare depuis deux ans. Ce sera donc pour 2025. Mais on ne dévoile rien pour le moment [rire].

 

Comment choisissez-vous l’auteur de l’affiche ?

Une semaine après la fin du festival, on se réunit pour débriefer et choisir l’auteur de l’affiche de l’année suivante. Car selon le calendrier des auteurs, il y a quand même du boulot, il faut anticiper pour que ce soit confortable pour eux. Surtout s’il y a une exposition avec. Cette année, avec Guillaume Singelin, cela a été très facile. Il sera là le week-end des 1er et 2 juin.

 

Vos coups de cœur 2024 ?

Je suis cocommissaire d’une expo, Cap sur l’Entremonde, sur les deux premiers tomes d’Ana et l’Entremonde, alors forcément... J’aimais beaucoup le travail de Cy à la base, notamment sur la couleur. Et, au scénario, c’est Marc Dubuisson, un auteur que j’adore aussi. Il me fait beaucoup rire. C’est une expo jeune public mais qui va parler à tout le monde, avec plein de sujets sous-jacents. Quant à l’auteur de l’affiche, Guillaume, il a remporté beaucoup de prix pour Frontier, son dernier album. L’expo qui lui est consacrée portera également sur trois autres albums, comme une traversée de son univers en quatre espaces très différents. Elle sera ici, à la halle, ce qui n’arrive pas toujours. Les auteurs des affiches sont parfois exposés ailleurs.

 

Car le festival ne se limite pas à la halle Freyssinet.

Nous avons toujours des partenaires extérieurs. Cette année, on s’est un peu recentrés, mais il y a des choses un peu partout, par exemple à la Maison de la culture (La Diplomatie du ping-pong, en lien avec les JO, ndlr), dans les bibliothèques (dont Madeleine Riffaud à Louis-Aragon), ou à l’office de tourisme (rétrospective des affiches du festival)... Les périodes d’expositions sont différentes, souvent plus longues, cela accroît la visibilité de la BD.

 

Après deux week-ends en mode “musée”, les 8 et 9 puis les 15 et 16 juin, le dernier sera un nouveau temps fort, les 23 et 24 juin. Quelle est la différence ?

Sur le quatrième week-end, on coproduit avec les éditeurs – lesquels n’ont toujours pas de stand, par contre. Leur prise en charge financière nous permet de proposer un second week-end avec un plateau d’auteurs après celui d’ouverture des 1er et 2 juin. Le seul éditeur vraiment présent, c’est notre “coup de projecteur”. Pour mettre en avant une maison d’édition indépendante, dont on veut valoriser le travail. Cette année, c’est Alifbata, qui traduit des BD en langue arabe. Un focus sur des auteurs tunisiens, libanais... Ils font un super boulot.

 

Et en termes d’événements ?

Comme tous les ans, on fait un concert dessiné : le 23 juin à la Maison de la culture. On aura aussi un concert de Minuit avant la nuit et un spectacle de cirque avec les Tentaculaires. Et France Bleu va faire un direct toute la journée du 1er juin.

 

Le festival est-il toujours gratuit ?

Toujours !

 

C’est moins connu, mais vous proposez aussi des rencontres professionnelles.

Cette année, on a beaucoup d’invités sur la rencontre autour de l’adaptation en BD, le 31 mai à UniLaSalle. Avec quatre tables rondes. C’est un sujet qui intéresse énormément.

 

Vous pensez aussi aux jeunes lecteurs.

Oui, nous avons un gros programme d’animations. La Petite Fabrique est ainsi dédiée aux rencontres jeunesse, avec les auteurs. Aucun atelier ne ressemble à un autre. Il y en aura une vingtaine, ainsi que des spectacles dans l’auditorium. On a aussi la chance d’avoir une grande équipe d’animation du festival qui propose des lectures picto-signées, des kamishibai, des tapis narratifs. C’est un petit cocon dans la halle. On a également un nouvel espace avec des ateliers quasiment en permanence, en lien avec les expositions. Waide Somme propose aussi des ateliers jeunes publics le week-end des 1er et 2 juin. Des étudiants de la licence et du master de la BD en font aussi. Il y a moyen d’occuper ses enfants toute la journée ! Il suffit, en arrivant, de les inscrire aux animations à l’accueil du festival.

 

Sans oublier les scolaires…

On va encore en accueillir 2 000 à partir de lundi (27 mai, ndlr), pendant une semaine. Ainsi que, pour la deuxième année, un accueil des primaires, sur deux jours. Il y a aussi le prix des écoles d’Amiens (environ 100 élèves, ndlr), mis en place cette année sur le modèle des prix des collégiens et lycéens. On fait une pré-sélection, et il y a un dispositif au long cours où les élèves apprennent à lire des BD, à devenir des critiques, puis choisissent leur favori. La remise des prix aura lieu le 21 juin, à 11h, en présence de la lauréate, Milena (pour Goupile, ndlr). On a beaucoup de sollicitations, nous sommes victimes de notre succès. Mais cela crée de futurs lecteurs, de futurs visiteurs. Des élèves se mettent ou se remettent à lire, à fréquenter des CDI, des bibliothèques. Cela a fait ses preuves.

 

Le public répond en masse ?

Sur le festival, on compte entre 17 et 20 000 personnes, en cumulant la halle et hors les murs. C’est une grosse jauge. Le public vient le premier week-end et revient parfois sur les week-ends intermédiaires pour voir les expositions dans d’autres conditions, avec les médiateurs. Et de plus en plus de public vient de l’extérieur de la région. C’est la quatrième année qu’on est sur un mois d’ouverture. En termes de visibilité des expositions, c’est essentiel.

 

Quelles sont les nouveautés ?

On a mis en place beaucoup de mesures pour un festival plus vert, ancré dans le développement durable. Les gens pourront remplir leurs gourdes à des points d’eau, une équipe sensibilisera sur le tri des déchets, avec les Messagers du tri d’Amiens Métropole, qui nous forment. Pour les auteurs, on privilégie des restaurateurs en circuit court. Les food-trucks sur la terrasse s’engagent à signer une charte sur le tri des déchets, les contenants biodégradables. On travaille avec Les Recyclettes et une entreprise qui récupère et recycle les mégots. On va aussi peser nos déchets, pour tenter de progresser chaque année. Et une des expos parle d’écologie, de comment les autrices et auteurs s’emparent de ce sujet. Pour trouver des solutions ensemble.

 

Et par la suite ?

Je vais attacher une importance à la place des autrices sur la manifestation, comment les inviter, faire en sorte qu’elles se sentent à l’aise. C’est plus compliqué pour une autrice de se rendre sur un festival comme celui-ci. Car encore trop souvent, les contraintes familiales les en empêchent. Toute la cellule artistique s’est emparée de ce sujet. J’aimerais aussi développer à l’année le travail sur les éditions indépendantes, très florissantes, très riches. Les programmateurs ne demandent qu’à sortir de leur zone de confort, et ça, c’est très chouette.

 

Quand quitterez-vous la halle Freyssinet ?

A priori on sera encore là l’année prochaine. L’idée est d’avoir une transition en douceur entre ici et la future Pic. On est contents d’être là, mais on a aussi hâte d’investir un nouveau lieu, de se réinventer encore une fois. On ne va pas se reposer sur nos acquis. Ce ne sera pas forcément plus grand, mais l’espace sera totalement différent. On y rejoindra le Frac (Fonds régional d’art contemporain, ndlr) et Waide Somme (l’école d’animation et de jeux vidéo). Avec, en conséquence, plein de choses à inventer.

Propos recueillis par Jean-Christophe Fouquet

 

Sophie Mille devant l'entrée de l'exposition dont elle est cocommissaire, dix jours avant l'ouverture du festival 2024. © Noémie Laval