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Seconde Guerre : des civils amiénois témoignent

Ils étaient enfants ou jeunes adultes pendant l’évacuation, l’Occupation allemande et la Libération. Des Amiénois et Amiénoises dévoilent leurs souvenirs. Des témoignages recueillis entre 1977 et aujourd’hui.

Photo principale témoignages © DR archives_municipales_amiens_7Fi072
Place Gambetta - archives_municipales_amiens_7Fi072

05.08.2024

Pour commémorer les 80 ans de la Libération d'Amiens, le JDA a publié un hors-série spécial. En complément, des témoignages de civils interrogés entre 1977 et aujourd'hui vous sont proposés ici. 

Yvonne Taisne © DR
portrait de Yvonne Taisne

Yvonne Taisne

« En mai 1944, on est parti se réfugier à Franvillers parce que les enfants avaient peur. Les Boches étaient de plus en plus agressifs et les bombardements de plus en plus fréquents. Seul Bernard croyait que les bombes qu’il voyait tomber au loin étaient des bonbons. On est rentré à Amiens début juin. Georges qui faisait partie de la Défense passive nous y attendait. Le 13 juin, les Américains ont voulu détruire la gare Saint-Roch. Ils ont lancé tellement de bombes que le haut de la route de Rouen a été fortement détruit. Au moment de l’alerte, maman a dit à papa qu’elle préférait se réfugier dans la cave des voisins, papa est resté. Une bombe est tombée sur la maison : six morts. Papa a survécu. Plus tard on a appris que les Américains préparaient le débarquement. »

Propos recueillis par Philippe Pauchet en 1993.

 

Claude Leturcq

« Le 22 juillet 1944, j’ai été arrêté par la milice et conduit au siège de la Gestapo. J’ai réussi à m’enfuir grâce à Monsieur Lamarre. Je suis parti à vélo vers Heudicourt puis Villers-Bretonneux. J’ai appris l’avancée des Alliés vers Amiens, alors j’ai voulu participer aux combats de la Libération. De retour chez mes parents, ils me disent que de nombreux camarades ont été arrêtés par la Gestapo et que je suis en danger. Je suis donc reparti à Heudicourt et je n’ai pu revenir à Amiens que le 6 septembre 1944. »

Propos recueillis par Philippe Pauchet en février 1998.

Mireille Pauchet  © DR
Portrait de Mireille Pauchet

Mireille Pauchet

« J’habitais rue de l’Abeille avec mes enfants, Gérard et Bernard. Mon mari était prisonnier en Autriche. Le jour de la Libération d’Amiens, on était chez ma sœur rue du Moulin-Brûlé, on a vu des chars descendre la route de Rouen. On était à la fois heureux et angoissé. Pour ma part, je n’ai vraiment été “libérée” qu’avec le retour de captivité de mon mari, un an plus tard. »

Propos recueillis par Philippe Pauchet en 1977.

Georges Legrand

« J’habitais à Amiens, rue Cosserat, dans le quartier Saint-Pierre, j’avais 10 ans. Fréquemment le soir, passaient de nombreux bombardiers surnommés “forteresses volantes”. C’était des avions alliés qui passaient au-dessus d’Amiens pour procéder à des bombardements en Allemagne. Ils passaient dans un ronronnement qui nous était familier. Un jour, un midi, sorti de l’école Saint-Pierre (maintenant école Paul-Vincensini, rue Léon-Dupontreué, ndlr), je retournais chez mes parents en empruntant la rue Valentin-Haüy. Tout d’un coup, la sirène d’alerte du quartier s’est mise à hurler, comme cela se produisait assez souvent, nous avertissant d’un probable danger aérien. Présent à l’école, je serais descendu comme d’habitude dans l’abri souterrain édifié au milieu de la cour. Mais comme j’étais sorti, je décidai de continuer ma route. Alors que je longeais l’entreprise Salmson, un avion est passé très rapidement à basse altitude au-dessus de moi dans un fracas de mitraillages et d’explosions. C’était un avion plutôt rapide et plus léger que les “forteresses volantes”. Plusieurs passages se succédèrent en quelques minutes. Je m’étais blotti dans l’encoignure de la porte du gardien de l’usine. À un moment, un objet vint heurter le mur au-dessus de la porte et est retombé sur le trottoir devant moi. J’étais pétrifié et je n’ai même pas pensé à le ramasser. J’ai certainement bien fait car c’était probablement une balle mitrailleuse qui était venue mourir sur le mur et devait être bouillante. Un couple est rentré chez lui, de l’autre côté de la route, presque en face de moi. J’ai traversé rapidement pour le suivre et me mettre à l’abri. Ils me fermèrent la porte au nez. Peut-être avaient-ils plus peur que moi… Je repris donc ma route afin de rejoindre mes parents. Ce raid d’avions, qui n’a duré que quelques longues minutes, est une parmi bien des épreuves que nous avons connues à Amiens au cours de la guerre. Plus tard, adulte, j’ai regardé un film retraçant l’opération Jéricho. J’ai alors compris que c’était ce que j’avais vécu ce jour-là. Les avions étaient venus pour bombarder la prison d’Amiens… »

Propos recueillis par Aurélie Van Dycke en 1999 dans le cadre du concours national de la résistance et de la déportation.

 

Georges Legrand © DR
Portrait de Georges Legrand

Témoignages de résidents de l’Éhpad Les Jardins d’Henriville (juillet 2024)

Anne-Marie Rigaux (née en 1932)

« Pendant l’Occupation, je vivais à Bully en Seine-Maritime. Mon oncle était Résistant. Il avait été fait prisonnier. Ma tante, son épouse, était donc à la tête de la ferme. Elle a hébergé des soldats canadiens et australiens pendant six mois. C’était une femme très courageuse qui a eu beaucoup de chance de ne pas être dénoncée. Je me souviens que les Allemands venaient chercher des œufs et réquisitionnaient les chevaux. »

 

Anne Nachin (née en 1930)

« Moi, je vivais dans le Pas-de-Calais. On avait des Allemands à la maison. Certains discutaient avec nous de littérature et de politique. Ils n’étaient pas tous pour la guerre. Les relations étaient très bizarres. J’avais toujours peur pour mon frère qui était adolescent à l’époque et qui disait tout ce qu’il pensait. Je revois encore les trains de déportés juifs. Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est le départ des Allemands. Mais le plus dur, ça a été le retour des gens déportés. C’était terrible à voir. »

 

Henri Chatellain (né en 1937)

« Je vivais à Méaulte à 30 kilomètres d’Amiens. Le patron de l’usine d’aviation Potez était un lointain cousin de la famille. Mes parents étaient cultivateurs. On est parti un mois pendant l’évacuation. En 1942, j’avais 5 ans, c’était ma première rentrée des classes. Le 2 octobre, jour de la rentrée, on a entendu les sirènes. Des papillotes tombaient du ciel. C’était pour fausser les viseurs des mitraillettes. On est resté deux heures abrités sous les tables. On connaissait les bombardements. Ma mère est venue pour faire sortir les élèves de la classe. Une bombe est tombée sur l’école à peine le dernier enfant sorti. Tout était détruit. Nous, les petits, on est retourné en vacances. Les plus grands ont dû aller à l’école à Dernancourt. Puis, on a fait classe dans un atelier de menuiserie. À la Libération, j’avais 7 ans. J’ai encore des images fortes des Allemands qui fuyaient pendant la nuit pour ne pas être poursuivis. Ils dormaient dans les granges avant de repartir au petit matin. Mon grand-père s’était disputé avec ma mère car il ne voulait pas que les soldats dorment dans notre grange de peur qu’ils y mettent le feu. Alors il avait réquisitionné leurs briquets et leurs cigarettes. L’après-midi de la Libération, on a vu les premiers véhicules anglais arriver. Les Américains eux traçaient sur les grandes routes. Mon grand-père avait fait un cidre mousseux pour fêter l’événement, ma tante sonnait les cloches. Je suis arrivé à Amiens dans les années 50, en seconde à la cité scolaire qui était en train d’être construite, tout comme la tour Perret. »

 

Propos recueillis par Coline Bergeon

Résidents de l'Éhpad Les Jardins d'Henriville © Coline Bergeon
Anne-Marie Rigaux, Anne Nachin et Henri Chatellain

Témoignages de résidents de l’Éhpad Korian Samarobriva (juillet 2024)

Jacques Wilbert (né en 1933)

« J’habitais Varennes (à 25 kilomètres d’Amiens) pendant la guerre. Mon père était instituteur. Quand il a évacué, ma mère, mon frère et moi l’avons rejoint en voiture vers Angoulême. Je me rappelle des hélicos, des bombardements, des chevaux morts au bord du chemin… C’était affreux. On a passé la Seine entre Elbeuf et Quillebeuf sur un bateau. Je me souviens d’avoir vu les deux villes en flammes. De retour à Varennes, mon père avait fabriqué une carte avec des morceaux de laine pour indiquer l’avancée des troupes au fur et à mesure que les informations nous parvenaient. On voyait les batailles au-dessus de nos têtes, les avions qui bombardaient, les aviateurs qui tombaient avec leur parachute. Mes parents avaient construit une tranchée dans le jardin pour s’abriter. Pendant l’Occupation, les Allemands avaient réquisitionné l’école. Ils dormaient sur de la paille dans la classe. Dans notre logement, ils avaient pris des pièces pour eux. Je me souviens qu’on donnait de la nourriture aux soldats dans la cour de l’école. Certains d’entre eux pleuraient. Ils n’étaient pas tous SS. Ils avaient laissé leur famille… Au moment de la Libération, avant leur départ, ils nous ont dit de ranger la TSF et d’éteindre les lumières parce que les officiers SS arrivaient. J’ai vu une auto blindée traverser Varennes. Quand les premiers véhicules anglais sont arrivés, des jeunes sont montés dedans. Ils ont été abattus quelques kilomètres plus loin à Acheux-en-Amiénois par les Allemands. Je me rappelle d’Amiens en feu. Tout était triste et brûlé. »

Jacques Wilbert  © Coline Bergeon
Portrait de Jacques Wilbert
Marie-Amélie Deltombe  © Coline Bergeon
Portrait de Marie-Amélie Deltombe

Marie-Amélie Deltombe (née en 1921)

« Je vivais à Amiens, rue Saint-Fuscien, dans le quartier Henriville. Je me souviens d’une jeunesse heureuse auprès de mes parents. J’étais la dernière de sept enfants. Au moment de l’évacuation, on est parti à Laval, je crois, si ma mémoire est bonne. Ce dont je me souviens très bien, c’est que quand on entendait les sirènes et les avions on se précipitait dans la cave. Mais avant de descendre on laissait toujours la porte de notre maison ouverte pour que les gens qui se trouvaient dans la rue puissent se réfugier. On avait confiance. Sous l’Occupation, tout le monde était recta. Il fallait se tenir à carreaux. Mais il y avait beaucoup d’entraide au sein de la population. »

 

Propos recueillis par Coline Bergeon